Sport au féminin

Pour comprendre la médiatisation de la femme dans les sports extrêmes, il faut avant tout comprendre ce phénomène dans le monde du sport en général.

©Nicolai Widovitch

En 2018 en France, selon l’INSEE, 84% des femmes pratiquaient une activité physique ou sportive, que cela soit dans la vie de tous les jours ou en vacances. Cependant, également en 2018, seulement 38,5% des licenciés, étaient de sexe féminin (source Ministère des sports). Mais pourquoi un chiffre aussi bas ?

Selon une autre étude de l’INSEE, en 2017, les femmes pratiqueraient moins que les hommes par manque de temps, pour cause de plages horaires non adaptées ou encore à cause d’un déficit de confiance en soi. Ainsi, l’étude conclut « qu’une femme a 20% de chances en moins de pratiquer une activité physique ou sportive qu’un homme » et cela peu importe son diplôme ou sa situation familiale. (voir cet article du Magazine Grizette)

Historiquement, le sport a été créé par les hommes et pour les hommes. Selon Pierre de Coubertin, le rôle des femmes était « avant tout de couronner les vainqueurs ». Car selon le rénovateur des Jeux Olympiques modernes, « Une olympiade femelle serait impratique (sic), inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le véritable héros olympique est à mes yeux, l’adulte mâle individuel. Les J.O. doivent être réservés aux hommes ».

Aujourd’hui cette stigmatisation se ressent au sein des clubs et des pratiquants. En France, les femmes restent seulement majoritaires dans quelques sports comme la gymnastique ou l’équitation, tous deux avec plus de 80% de licenciées contre 7,7% licenciées dans le football ou encore 9%  licenciées en rugby par exemple (source du Ministère des sports).

Mais un sport comptant beaucoup de licenciéEs est-il forcément plus médiatisé ? Dans un article du blog du Figaro, Anne-Marie Heugas, membre de la Commission sport au féminin de l’ANDES remarque qu’ « il y a un marché très dynamique, amené à prendre de plus en plus de place. Néanmoins, cela reste un cercle vertueux : plus il y aura de retransmissions de sport féminin mais aussi de femmes prises en exemple, plus le sport féminin deviendra attractif… ». C’est également ce que semble affirmer Nathalie Sonnac, conseillère au CSA, dans un article datant de février 2019, du magazine Stratégies, « La médiatisation du sport féminin est la clé de voute. Ça a un effet positif sur la pratique elle-même, avec par exemple l’augmentation du nombre de licenciées de football de 90 % depuis la saison 2010-2011». François Pélissier, directeur des sports de TF1, ajoute sur ce même article : « C’est vrai que les prévisions d’audience sont différentes de celles de la Coupe du monde masculine de 2018, mais ça reste une coupe du monde, qui se déroule en France, dans un contexte où le sport féminin prend de plus en plus de place. Nous voulons accompagner ce mouvement, et même l’amplifier ».

Cependant, bien que plusieurs personnes puissent trouver une correspondance dans ces chiffres, encore trop peu d’études et d’analyses peuvent faire le lien entre le nombre de licenciés et la médiatisation d’un sport.

Mais alors qu’est-ce que les médias choisissent de montrer ? De retranscrire ? De « spectaculariser » ?

 L’exemple de la TV

Loading...

Loading...

En se rapportant aux schémas ci-dessus, plusieurs critères apparaissent clairement :

©Wikipédia

Z

Les médias partagent massivement des sports dits « masculins »

Z

Ce sont pour la plupart des sports dits « populaires »

Z

Le rugby, bien que 8eme sport français en terme de licences est sur-médiatisé

Z

Depuis 2018, la pétanque a un taux horaire supérieur à beaucoup de sports

Z

Moins de 15 % des heures de retransmissions en 2015 était consacré au sport féminin

Ce dernier chiffre est néanmoins en constante progression. En 2012, c’était 7% des retransmissions sportives qui étaient dédiées aux femmes, puis 14% en 2014, 13,4% en 2015, pour arriver à 19% en 2018. Cependant, bien qu’une hausse de la visibilité du sport féminin se constate sur nos écrans de télévision, les femmes restent loin, médiatiquement, de leurs homologues masculins.

Mais pourquoi cela ?

Pour avoir davantage d’audience, les médias mettent en avant la « spectacularité » d’une pratique.

Selon plusieurs sociologues du sport, la « spectacularisation » des pratiques fait partie des vecteurs d’attractivité pour les médias. L’un des indicateurs principaux de ce processus tient dans la dimension athlétique des activités  comme la puissance, la vitesse ou encore l’explosivité. Afin de justifier cette sous-médiatisation des pratiques féminines, la dimension athlétique est l’un des arguments régulièrement évoqué par les diffuseurs. Autrement dit, les femmes ne peuvent et ne doivent faire preuve de puissance, de vitesse ou encore d’explosivité. Ou si elles le font, elles seront appréciées dans leur « masculinité » comme ce fut le cas pour les tenniswomen Serena Williams et Amélie Mauresmo.

Les stéréotypes genrés se positionnent sur des caractéristiques techniques de pratiques qui les classent comme plutôt féminines ou plutôt masculines. L’esthétique et la grâce seront des traits féminins, alors que l’énergie, la force (Christian Pociello, 1981) et la prise de risque (David Le Breton, 2000 ; Jean Griffet, 1995) seront typiquement masculins. Ceci permettrait, entres autres, d’expliquer l’investissement des femmes dans des pratiques dites « masculines » comme le football ou le rugby… mais également dans des pratiques plus risquées comme dans notre étude avec le skate, le  ski ou encore le  surf.

Dans notre imaginaire collectif, ce système de pensée viendrait donc articuler la grille de lecture des « choix sportifs » dits sexués.

Sport Féminin Toujours

Cependant, depuis 2017, en lien avec le Ministère des sports et le Ministère de l’Egalité entre les femmes et les hommes, le CSA essaie d’ancrer le sport féminin dans les usages médiatiques en lançant l’opération « Sport féminin toujours ». Une opération de médiatisation qui met à l’honneur la pratique sportive des femmes. Pour ce-faire, le CSA demande aux télévisions et radios, qu’elles soient nationales ou locales, d’adapter leurs programmes afin de traiter du sport féminin sous divers formats avec des retransmissions, des magazines, des documentaires, des interviews et enfin des reportages.

©Wikipédia

Le CSA s’explique sur son site internet :

« Le sport féminin gagne en temps d’antenne, mais pas seulement le temps d’un week-end. L’opération de médiatisation mise en place depuis 4 ans, renouvelée en 2018 sous le nom de Sport féminin toujours, a lancé une dynamique et participe à un cercle vertueux :

  • La part consacrée au sport féminin à la télévision augmente : 7 % du volume horaire des retransmissions sportives à la télévision en 2012, puis 14 % en 2014 et enfin 16 à 20 % en 2016.

  • Les téléspectateurs applaudissent : ils étaient 5,6 millions devant la finale de Judo « Femmes +78kg » lors des JO de Rio en 2016 ; 4,1 millions devant le France-Allemagne de la Coupe du monde de football féminin en juin 2015 (source : Médiamétrie).

  • Les compétitions sportives féminines sont de plus en plus rentables pour les chaînes de télévision.

  • L’exposition de la pratique sportive féminine aide à son développement : entre 2007 et 2015, le nombre de licences sportives féminines a progressé de 20 % (contre 10 % pour les hommes) »

Que faut-il en déduire ?

©Pixabay

Le sport français est « masculiniste » ?

Historiquement, le sport est masculin. Mais cela semble être encore le cas aujourd’hui. Nathalie, la mère de Zoé Grospiron, (longboardeuse biarrote dont le portrait apparait dans ce webdocumentaire) confirme cela : « Quand on fait du sport de haut niveau on a un côté « yang » assez prononcé. Autrement dit, quand tu fais du haut niveau tu as une partie de toi qui est masculine. En général ce sont des filles qui ne se plaignent pas, qui sont aussi dans le fait de se transcender… c’est une dynamique assez masculine le sport de haut niveau ».

Les sports les plus populaires en France sont le football, le rugby, le cyclisme ou encore le tennis. Tous ces sports ont une majorité de licenciés masculins. Et, ce sont également ceux qui sont les plus médiatisés avec les sports mécaniques, la pétanque et le basketball.

En dehors de cette période de crise sanitaire, il serait d’ailleurs intéressant de faire un test. Afin de mieux illustrer nos propos précédents, allumez la télévision un soir de match et zappez… C’est encore mieux si vous avez le câble, direction les chaînes spécialisées et même action, zappez… Une conclusion presque certaine s’impose, notamment si c’est le week-end, il y a de fortes chances de « tomber » sur un match de Ligue 1 ou de Top 14, sauf si c’est l’époque du tournoi des six nations, ou de la Ligue des champions… Bref, n’apparaissent alors que des sports pratiqués par des hommes… ou presque, car certaines chaînes essaient quand même de s’ouvrir de plus en plus aux matchs et aux sports féminins.

Alors, est-ce que le grand public ne s’intéresse qu’aux sports masculins ? Ou seraient-ce les médias qui obligent le grand public de ne voir qu’un seul aspect de ces sports ?

A ce niveau de lecture, il est d’ailleurs très intéressant de noter que, dans notre investigation ou dans l’expression populaire, dès que ces sports sont évoqués, il y a une obligation de rajouter l’adjectif « féminin » pour bien faire comprendre qu’il s’agit de l’autre genre. C’est ce que fait très bien remarquer TV5 Monde dans l’ouverture de cet article  :

« Si je vous dis : finale de Mondial de hand-ball, plus de 4,3 millions de téléspectateurs accrochés à leur écran, 24% de part d’audience, et au bout une victoire en bleu… A quoi pensez-vous ?

Imaginez-vous autre chose que des hommes sur le terrain ? Voilà. Il s’agissait en l’occurrence ce 17 décembre 2017, de joueuses et non de joueurs. Que lit-on dans la presse au lendemain de la victoire des Françaises face à l’équipe norvégienne (23 à 21) : « Diffusée en clair sur TF1, la finale du Mondial de handball féminin a réalisé une audience puissante pour la discipline. » (L’Equipe.fr)

Vous l’aurez sans doute remarqué, cet adjectif, on précise bien ici : « handball féminin » et ça vaut aussi pour les autres disciplines, on entend toujours et encore (mais il ne faut pas se plaindre parait-il puisque c’est déjà bien d’en parler n’est-ce-pas ?), football féminin, basket féminin etc. etc… Pourquoi alors ne pas s’inspirer du monde du tennis, où l’on parle de finale dames, ou de finale messieurs…

 La vraie victoire serait peut-être de parler de handball, point.  ».

Tout ceci donne l’impression de ne plus assister au même sport, mais à une vulgaire sous-marque ou à un spectacle de moindre niveau, ne méritant surtout pas autant d’attention.  Pourtant, selon une étude KANTAR réalisée pour TF1 en février 2019, 84% des Français auraient déclaré que le sport féminin est aussi intéressant à regarder que le sport masculin. Lors de cette même étude, 82% des Français trouvent que dans notre société, le sport est quand même mieux valorisé auprès des garçons.

A ce sujet, l’UNESCO dresse un constat : « La couverture sportive joue un rôle puissant dans le façonnement des normes et stéréotypes liés au genre. En promouvant une couverture plus paritaire des sports masculins et féminins, et une représentation des athlètes plus juste, sans distinction de genres, les médias ont le pouvoir de défier ces normes et stéréotypes. »

Mais en ce qui concerne la représentation des femmes dans les médias sportifs, l’UNESCO précise que : « La représentation médiatique des sports et des athlètes peut contribuer à la construction de stéréotypes sexistes néfastes. Les médias ont tendance à représenter les athlètes féminines premièrement en tant que femme, et ensuite en tant qu’athlète. Alors que les hommes sont dépeints comme étant puissants, indépendants, et valorisés en tant qu’athlètes, la couverture sportive des femmes fait souvent référence à leur apparence, leur âge ou leur vie de famille. »

Cette organisation commente aussi la couverture des compétitions sportives féminines : « Les disparités dans la qualité et la quantité de la couverture sportive des athlètes féminines comparée à celle de leurs homologues masculins demeurent. L’un des seuls moments où les stars du sport féminin font la une des journaux est lors des deux semaines où se déroulent les Jeux Olympiques. Les femmes ne reçoivent seulement que 4% de la couverture médiatique sportive, dans laquelle elles sont souvent objectivées ou décrites d’une manière dénigrante. Pourtant, en dehors de la période des grands événements sportifs, les statistiques affirment que 40% des sportifs sont des femmes ».

Une bataille médiatique qui semble en n’être qu’à ses débuts et qui s’avère aussi loin d’être gagnée.

Mais quid des sports extrêmes ?