ANAIS CARADEUX

« Au début quand on est la première fille dans ce milieu, on essaie de s’intégrer au maximum, d’être acceptée. Souvent on le fait en essayant de copier ce que les hommes font, donc en reniant notre féminité ».

Un sourire à toute épreuve

Quand le ski freestyle est évoqué en France, difficile de ne pas citer Anais Caradeux. Multi-médaillée en ski half-pipe sur les étapes de coupe du monde et des X-Games, elle fait partie de ces femmes qui ont contribué à faire connaître le ski freestyle féminin dans l’hexagone.

Le monde du ski, et celui de la glisse en général, n’est pas très grand. Ce qui explique que certaines personnes peuvent être amenées à se croiser à des endroits totalement différents. C’est exactement le cas avec Anaïs. Nous nous sommes rencontrées lors d’un stage ENSA à Tignes en décembre en bas du glacier puis retrouvées au bord de l’océan en plein mois d’août. Quand tu croises son chemin, tu sais que tu peux aller lui parler sans gêne. Anaïs est le genre de personne très ouverte, authentique et qui sourit toujours.

Je me souviens de ce soir d’été où je l’ai croisée par hasard sur le parking d’une plage landaise. Tous les vacanciers rentraient chez eux. Laissant sur place les quelques surfeurs encore au pic, les locaux et les quelques personnes venues admirer le soleil couchant. Je me souviens qu’elle avait ses cheveux bruns encore mouillés et salés par l’océan. Sur son visage, au niveau de ses joues et de son nez, une petite ligne de grains de beauté marrons se démarquaient. Ses joues rosées et son teint bronzé laissaient deviner qu’elle avait passé un bon bout de temps au soleil. Sous sa chevelure noire se dissimulaient ses deux yeux marrons et son sourire malicieux. C’était seulement la 2nde fois que je la croisais. Et pourtant, bien que nous ne nous connaissions à peine, je me souviens avoir parlé de longues heures avec elle au bord de l’eau, à cœur ouvert.

Ce soir-là, j’ai découvert au combien, derrière ce grand sourire, ce petit bout de femme pouvait être fort. Car pour faire tout ce parcours, il faut du courage et un mental d’acier.

Un départ difficile

Lorsqu’elle a débuté le ski freestyle, au début des années 2000, Anaïs était la seule fille. « J’ai gommé tous mes caractères féminins, j’essayais de rentrer un peu dans le moule, d’être un garçon ». Compliqué d’être la seule fille dans un monde de « mecs ». Aujourd’hui, Anaïs assume totalement sa féminité. Il est alors difficile de réaliser à quel point à une époque, elle essayait de s’effacer pour faire oublier qu’elle était une femme. Lorsqu’elle a débuté dans le ski freestyle, il fallait qu’elle trouve sa place. « J’avais 7 ans quand j’ai quitté la Guadeloupe pour partir à Annecy. Avec mes potes du collège on allait rider tous les mercredis et  tous les week-ends » explique Anaïs. Virginie, sa mère, continue : « c’était une enfant très vive, très curieuse, toujours très dynamique à courir à droite, à gauche ».

C’est à partir de ses 13 ans que ses parents et elle se sont orientés vers le club de La Clusaz. Cependant, il aura fallu plusieurs essais pour que le coach finisse par accepter. La raison ? « Le coach disait que les filles c’étaient toujours des emmerdes » explique Virginie, la maman d’Anaïs. L’essai s’avère concluant selon Antoine Rachel, le coach de La Clusaz. Les avis sont même unanimes, il faut prendre la petite au club : « Quand Anaïs est arrivée au club, c’était une fille tonique. Quand j’ai vu sa tonicité et comment elle engageait, j’ai halluciné. Tout de suite je me suis dit qu’il fallait la prendre ».

C’est dès l’hiver suivant qu’Anaïs participe à sa première coupe du monde. Bien qu’elle n’ait que 14 ans, son coach, Antoine, prend la décision de la faire participer : « quand je suis arrivé là-bas j’ai vite compris qu’elle allait battre celles qui courraient. Je me suis dit « merde » faut qu’elle court ! Ça lui a donné des ailes ». A ce moment, elle et son coach comprennent qu’ils sont en avance sur leur temps. Tout s’enchaîne alors pour la jeune femme qui emportera tout au long de sa carrière 4 médailles aux XGames et un titre de championne du monde.

« Je voulais me faire respecter ! »

Le ski freestyle a longtemps été boudé par la fédération de ski. « Ça a toujours été un sport marginal » explique Antoine Rachel. « Au départ c’était un effet de mode, que les filles ont suivi beaucoup plus tardivement. Elles se sont plus positionnées comme de simples groupies au départ. Anaïs savait qu’elle ne voulait pas être juste une groupie ».

Pour rentrer dans ce milieu, Anaïs a dû se battre. Selon sa mère, Virginie, Anaïs est une personne qui a toujours eu un esprit compétitif. Elle ne peut pas se contenter de la 2nde place, elle vise toujours la première. «C’est une jeune femme qui aujourd’hui est très volontaire, qui a un très fort caractère, je lui disais toujours avoir du caractère c’est bien, mais du bon c’est mieux » m’explique Virginie au téléphone.

Son coach de La Clusaz, Antoine, souligne également ce caractère très difficile et combattif : « Au club, elle rageait souvent pendant les trainings. Surtout quand ça ne passait pas. Quitte à se retrouver en haut toute seule à la fin de l’entraînement, il fallait que ça passe quoi qu’il arrive ». Son mauvais caractère lui aura même valu un surnom assez déplaisant : « ils l’appelaient tous « lardon » » continue Antoine, « parce qu’elle faisait du lard à chaque fois qu’elle n’y arrivait pas, elle avait un regard menaçant. Tu arrivais à tout lire dans ce regard ».

Étant la seule fille, Anaïs a dû se battre pour prouver qu’elle avait sa place au sein de ce groupe d’ados qui ne « faisait pas de cadeaux ». Face aux jalousies, aux conflits en stages et aux moments difficiles à l’entraînement, la mentalité de la jeune skieuse et sa détermination seront sans failles. Elle réussira à s’intégrer à ce milieu. « Anaïs n’y est pas arrivée avec de la facilité. Elle se prenait des cartons… mais avec sa solidité, le lendemain tu la revois elle est déjà à l’entrainement, avec les yeux qui froncent. Pour elle prendre un saut, c’est un combat de boxe » explique au téléphone Antoine Rachel.

Anaïs est déterminée, notamment à montrer, qu’elle a sa place dans ce milieu qui jusque-là ne comptait que des hommes. « Elle a toujours dû se battre au départ quand elle a commencé le ski freestyle » nous explique Virginie. D’un autre côté, Anaïs essayait de ne pas sortir du cadre, de gommer tout ce qui faisait d’elle, une femme. « J’essayais de copier ce qu’ils faisaient, de ne jamais parler de choses féminines, d’être assez forte mentalement pour ne pas céder aux différentes tourmentes qu’ils m’imposaient… » explique Anaïs, « surtout, je voulais me faire respecter ».

Aux balbutiements du freestyle en France, peu de filles se retrouvaient pour concourir ensemble. Et toutes avaient le même point commun : il fallait effacer leur féminité. « Au début, les filles étaient toutes pareilles. On essayait de gommer notre côté féminin » confirme Anaïs, « on mettait des grands pantalons. On mettait des trucs super grands en y rajoutant souvent une personnalité un peu garçon manqué. Il ne fallait pas montrer notre « faiblesse » ». Car fut un temps, dans ces sports, être une femme était souvent synonyme d’être faible. Un des exemples qu’aime bien citer Anaïs c’est celui de la défunte skieuse Sarah Burke. Celle-ci devait se déguiser en homme pour concourir dans des compétitions réservées alors qu’aux athlètes masculins. C’était le cas aussi dans d’autres sports. Comme en 1967, où face à des préjugés qui estimaient que les femmes n’auraient pas assez d’endurance pour pouvoir tenir un marathon, que cela pourrait faire tomber leur utérus ou les masculiniserait, Kathy Switzer fut la première femme à courir le marathon de Boston. Lors de son enregistrement officiel et afin de ne pas s’inscrire officiellement en tant que femme, elle dû utiliser les initiales de ses prénoms : « K. V. »

Anaïs raconte ainsi comment une année, alors qu’elle était en entraînement aux 2 Alpes, un groupe s’est amusé à lui demander si elle ne s’était pas perdue : « j’étais en haut du pipe et là il y a un groupe de garçons qui arrive et me dit « qu’est-ce que tu fais ici, t’as rien à faire là, le pipe des filles il est en haut » le tout en me montrant le pipe des enfants qui est plus petit ». Au départ, il était difficile de se faire une place sur les snowpark, « on ne t’accepte pas forcément dans un park quand on est une femme. On te dit souvent que les filles doivent être sur le côté assise dans les chaises longues à regarder les mecs et être admiratives de leurs exploits » explique avec dépit la freestyleuse. Pourtant, ce sont des personnes comme elle qui ont réussi à changer les mentalités en se faisant une place à part entière dans cette communauté.

« Pendant longtemps j’ai dit que je n’étais pas féministe »

C’est la question qui fâche. « Vous trouvez-vous féministe » ? Ce mot peut faire peur. Car souvent trop connoté de manière péjorative dans certains milieux. Cela a été le cas pour Anaïs qui pendant longtemps se défendait de ne pas être une féministe. « J’évoluais dans un monde très masculin, le féminisme avait une connotation un peu péjorative. Pour moi c’étaient des femmes ultra masculinisées qui avaient les cheveux courts et qui gueulaient sur tous les hommes. Celles-ci disaient qu’elles n’avaient pas besoin d’eux pour vivre. En quelques sortes des amazones violentes et très agressives» raconte Anaïs. « Dans notre milieu il y avait beaucoup de femmes comme ça. Je ne me sentais pas représentée et je ne m’identifiais surtout pas à ces femmes-là ».

Mais alors qu’est-ce qui a permis de changer sa vision des choses ? « Le discours d’Emma Watson ». C’est en 2014 qu’Anaïs découvre cette vidéo devenue virale en quelques jours. Cette jeune actrice milite pour un mouvement appelé He For She au micro de l’ONU. Un mouvement qui prône la parité et l’égalité des sexes, où est expliqué  que « le féminisme ce n’est pas que pour les femmes, cela concerne aussi les hommes ». Pour Anaïs, le mot féminisme ne la définit pas assez bien « par ce que finalement il y a le mot femme dedans ». Ce qui définira au mieux le mouvement dans lequel elle s’inscrit serait plutôt l’égalité des sexes. Pour la skieuse, il faut savoir réaliser ses rêves, que l’on soit un homme ou une femme, en s’affranchissant de tous les préjugés que l’on peut avoir : « il faut être ouvert d’esprit. Il ne faut pas dénigrer son prochain. Il faut accepter tout le monde dès le moment où il a envie de faire un sport ou il a envie de faire quelque chose. Sa couleur de peau, son sexe ou sa nationalité n’ont aucun intérêt et n’entrent pas en compte dans la capacité de venir réaliser ses rêves. Moi je me définis comme féministe, mais je voudrais qu’on re-définisse le féminisme et qu’on le remette vraiment comme il se doit et non pas comme quelque chose de violent et anti-masculin ».

« Il n’y avait aucune fierté dans la voix des commentateurs »

Mais bien que les choses semblent évoluer du côté de la mentalité des pratiquants, cela ne semble pas être identique du côté des médias. Et Anaïs en a pleinement conscience. Pourtant, bien que le ski freestyle soit mieux loti que certains sports plus populaires tel que le football féminin, la skieuse continue à pointer du doigt le dénigrement dont font preuve certains journalistes.

Elle cite plusieurs exemples qu’elle a pu constater lors de sa carrière en pipe, notamment lors des XGames. Les médias ne diffusaient pas les finales des filles en live et se contentaient en général que des trois runs gagnants : « souvent les médias ne parlaient des runs des filles de façon très succincte, sans donner d’impression ou d’avis. Afin d’essayer d’être le plus neutre possible pour éviter tout ce qui était discorde et polémique ». A l’inverse, ces mêmes commentateurs décrivaient avec des impressions personnelles et avec beaucoup plus d’attention les runs des hommes : « Ils décrivaient comment le public réagissait, donnaient des choses un peu plus vivantes, traitaient mieux l’information…. Tu sentais qu’ils étaient fiers de ce que les athlètes faisaient alors que pour les filles, il n’y avait aucune fierté dans la voix des commentateurs. Tout cela parce qu’on nous compare trop souvent aux garçons dans ces disciplines ».

Selon Anaïs, la mission principale des médias est assez simple aujourd’hui : diffuser un message où l’on constate que des femmes peuvent avoir envie de parler de leurs réussites sportives et/ou intellectuelles. « Le fait que l’on soit une femme doit passer en 2nd plan » détaille Anaïs. « Par exemple, on ne va pas demander à un mec quelles fringues il porte pendant telle ou telle compétition. On va plutôt lui demander comment il s’est préparé physiquement, mentalement. Comment il s’est senti, etc. Et c’est ce genre de questions qui devraient être posées aux femmes aussi ».

Un autre point semble crucial pour Anaïs. D’accord pour parler d’égalité et de parité, mais à la seule condition que ce soit le cas pour tout le monde : «  Cela veut aussi dire que les femmes arrêtent de se dénigrer entre elles. C’est surprenant le nombre de fois où tu entends cela. Il faut arrêter ça. Finalement, en faisant cela, on se tire une balle dans le pied ». Pour la skieuse c’est assez simple : il faut parfois tout simplement s’occuper de soi au lieu de trouver des causes extérieures.

Avant de ne finir notre communication téléphonique, Anaïs me rappelle à quel point il est important pour elle de faire passer un message à la communauté du ski, mais également au grand public. Pour elle, certes nous parlons de femmes, mais il faut que les médias fassent passer le côté athlétique avant la figure féminine : « Moi je veux que l’on parle plus de notre capacité physique avant de ne parler de notre féminité… Mais il ne faut pas oublier de montrer que nous sommes aussi des êtres humains et que comme toutes les autres femmes moi aussi j’ai mes règles. Moi aussi ça me gêne. J’aimerais gommer tous ces tabous qui viennent entraver l’évolution des femmes dans le sport et dans les médias. J’aimerais pouvoir parler tampons, mascara et que l’on m’écoute quand même lorsque je parle de mes figures dans le pipe. Et je ne vois pas pourquoi l’un ou l’autre viendrait ternir mon discours ou mon image ».

Après avoir pris sa retraite, Anaïs se lance aujourd’hui dans un nouveau défi : la conquête du backcountry. Elle espère se faire une place au sein d’un milieu encore plus fermé aux femmes en termes de reconnaissance : le Freeride World Tour.

Son instagram :

© Toutes les photos ont été aimablement données par Anais Caradeux après un shooting entre amis